Stephen Dock, Our day will come
L’exposition Irlande du Nord visible jusqu’au 22 mai 2022 au Musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône présente les œuvres photographiques de Gilles Caron et de Stephen Dock.
Cinquante ans après les événements du Bloody Sunday, l’exposition propose un double regard photographique, historique et contemporain, sur la situation nord-irlandaise.
Le conflit nord-irlandais, appelé aussi « Les Troubles », débute en 1968. Il déchire les Irlandais, entre républicains et nationalistes (principalement catholiques), d’une part, loyalistes et unionistes (principalement protestants), d’autre part. La situation se détériore avec la montée en puissance des groupes paramilitaires dans les deux camps.
La première partie de l’exposition est consacrée au travail de Gilles Caron. Présent à Londonderry le 12 août 1969 il enregistre les premières émeutes et témoigne de ce basculement du pays dans une guerre civile qui durera près de trente ans. Au-delà des images iconiques publiées à l’époque dans la presse, l’exposition propose un ensemble de soixante-dix photographies, tirages vintages et modernes, ainsi que des reproductions agrandies de planche-contacts qui éclairent le travail du photographe.
La seconde partie de l’exposition intitulée « Our day will come » est consacrée au travail de Stephen Dock. Quarante ans après Gilles Caron, le jeune photographe se rend sur place en Irlande du Nord. Derry, Belfast, il parcourt les mêmes lieux. Bien qu’un accord de paix soit signé depuis 1998, il constate que la société est toujours divisée et que les traces du conflit sont persistantes.
Our day will come. Ce slogan populaire des républicains d’Irlande du Nord évoque à la fois l’espoir de liberté et l’envie de vaincre la communauté adverse. Mais ces mots ne peuvent se lire sans penser au jour de notre mort.
Stephen Dock s’est formé très tôt au photojournalisme. En 2008, âgé d’à peine vingt ans, il veut saisir l’événement. Pour informer, il colle à l’actualité au plus près du danger. Syrie, Palestine, Mali, Irak… Son terrain de prédilection est la zone de guerre ; le conflit, son quotidien. Mais très vite, face à sa position de témoin impuissant et aux limites de la photographie, Stephen Dock remet en question sa pratique : son attrait pour les champs de bataille traduit au fond une souffrance intime, un conflit intérieur. À travers ses reportages sourd une réflexion sur sa propre condition : une incapacité du photographe à vivre en paix. Il emprunte alors une nouvelle voie. Dans ses séries, désormais, le noir et blanc et la couleur coexistent, les détails sont agrandis, le recadrage est possible. L’écriture est plus poétique, l’approche plus personnelle. Avec la photographie, on peut parler du monde et parler de soi.2012, la Nouvelle IRA se forme en Irlande du Nord. Stephen Dock décide de se rendre à Belfast à l’occasion du centenaire du pacte d’Ulster célébré par les unionistes. La tension est palpable, cependant il ne se passe rien. L’heure des combats armés est révolue. Les accords de paix du Vendredi Saint mettant fin à trente ans de guerre civile ont été signés en 1998. Mais les âmes ne sont pas apaisées et les anciens belligérants cohabitent dans une paix fragile. Dans un camp comme dans l’autre la violence, culturelle, sociale et politique, habite et hante les individus. Elle marque les visages des rescapés et des nouvelles générations. D’une emprise plus forte encore que la violence physique, elle modèle les comportements, s’inscrit comme un invariant se transmettant de génération en génération. Si la haine entre les communautés a façonné l’identité nord-irlandaise elle a aussi durablement marqué le territoire. La vie s’est créée autour des “peace lines“, les « murs de la paix », apparus après août 1969. Présents dans les villes, ils séparent les habitants d’un même quartier, parfois d’une même rue. Les stigmates de la guerre sont partout. De larges fresques murales rendent hommages aux « héros », les messages peints avertissent le visiteur qu’il pénètre dans le fief des républicains ou des unionistes. Les murs parlent. Les tags marquent l’appartenance à des groupes dissidents, témoignent des soutiens aux emprisonnés, ou dénoncent le sentiment de colonisation ressenti : “Brits out!” « Les britanniques dehors ! ».
L’année est rythmée par les parades, marches et « bonfires », ces bûchers faits de palettes de bois qui peuvent mesurer jusqu’à trente mètres de haut, et sur lesquels on brûle le drapeau irlandais ou l’Union Jack. Chaque événement est éminemment politique et marque la partition. La division est profonde et elle affecte les moindres détails de la vie quotidienne. Alors, comment photographier ce conflit larvé qui oppose depuis des centaines d’années deux communautés ? Comment rendre compte en images d’une société aussi divisée ? Pour répondre à ces questions Stephen Dock se rend sur place en Irlande du Nord, pendant six ans, à raison de onze voyages. Le photographe regarde et tente de comprendre cette incapacité à trouver la paix qu’il a lui-même éprouvée. Il constitue un corpus photographique de matières et de signes extraits de l’environnement quotidien : portraits, détails d’architecture, scènes de rue, … Les traces, parfois infimes, laissées par le conflit sont prélevées par le photographe pour les rendre visibles.
L’intégralité des tirages qui composent l’exposition Our day will come a été réalisée par le laboratoire du musée Nicéphore Niépce sur papier ARCHES® 88 pour l’impression numérique.
ARCHES 88 (IMPRESSION NUMÉRIQUE) – Arches Papers (arches-papers.com)
Stephen Dock est un photographe français. Né à Mulhouse en 1988, il vit et travaille à Cambrai. Stephen se confronte rapidement au terrain avec un premier sujet au Venezuela en 2008. Ensuite il parcourra de nombreux pays : Venezuela, Népal, Cisjordanie, Syrie, Irak, Irlande du Nord, Royaume-Uni, Mali, République centrafricaine, Liban, Érythrée, ou encore Cachemire indien.
Sa démarche se concentre autour d’une recherche visuelle sur notre aptitude à construire et à évoluer dans un environnement urbain, culturel ou politique. Il tente de rendre visible l’habituel, le quotidien et la banalité et il est particulièrement attaché aux traces que laissent tous types de fractures, conflits réels ou larvés, de classes ou états de guerre sur nos contemporains.
Membre de l’agence VU’ de 2012 à 2015, il a été finaliste du prix Leica Oskar Barnack en 2018. En 2020, il est finaliste du Prix découverte Louis Roederer, aux rencontres d’Arles. Puis coup de cœur du Prix LE BAL de la jeune création avec l’ADAGP en 2021 avec son projet La gomme de l’habitude.
Son travail a été exposé à la galerie Leica lors de Paris Photo 2018, au Tbilisi Photo Festival, au festival Visa pour l’image, au CNAP, au festival MAP Toulouse et au festival de Bayeux. Ses photographies ont été publiées dans la presse française et internationale comme M le magazine du Monde, le Figaro Magazine, Newsweek Japan, Paris Match, Internazionale, VSD, Libération